Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/300

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui emportaient dans leurs bras les baigneuses, et, s’avançant dans l’eau jusqu’à une certaine distance, variable, selon la marée, par delà les rudes galets, les plongeaient, tête première, et les remettaient debout, en équilibre, sur un sable fin, très-doux aux pieds. Nous faisions de laides grimaces pendant et après l’opération du plongeon, qui nous laissait les yeux, les oreilles, le nez, quelquefois la bouche, quand la peur nous avait fait crier, tout remplis d’eau salée. Le costume que nous portions était aussi fort laid : une coiffe ou serre-tête de taffetas ciré, qui enveloppait et cachait toute la chevelure, un pantalon et un sarrau de laine noire, sans aucun ornement, d’épais chaussons de lisière. Lorsqu’elle sortait du bain, dans sa gaine collante et gluante, la plus jolie femme du monde semblait une monstruosité. On se baignait néanmoins en vue de la promenade et l’on permettait que les hommes, du haut de la terrasse, armés de lorgnettes d’opéra, assistassent à l’aller et au retour, parfois très-long, de la tente à la mer et de la mer à la tente, où l’on quittait et reprenait les vêtements de ville. C’était aussi malséant que possible. La princesse napolitaine ou bien n’y avait pas songé, ou bien n’avait osé risquer sa popularité en touchant à la coutume ; toujours est-il qu’elle n’échappait pas au sort commun, bien au contraire. Les lorgnettes croissaient et multipliaient de jour en jour aux endroits où elle s’ébattait dans les