Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/309

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sur tout ce qui l’approchait, une domination entière. Elle n’avait pourtant jamais dû être belle, du moins ne voyait-on dans sa manière d’être et de dire, comme il arrive aux femmes qui ont eu le don de plaire aux yeux, aucuns restes de vanité ou de coquetterie féminine. Toute sa coquetterie était d’esprit : virile, et visant à la souveraineté. Avec ses petits yeux gris, bordés de rouge, avec son tour de cheveux blonds, son gros ventre et la double maladie qui décomposait son sang — le diabète et l’hydropisie — la princesse de la Trémoïlle, grande dame jusqu’à la moëlle des os, asservissait à ses volontés, par la force de son intelligence et par la hauteur de son caractère, toute une masse de clients, de familiers, de flatteurs et de parasites. Elle savait aussi, bien que dédaigneuse, s’insinuer là où elle ne pouvait s’imposer ; caresser les amours-propres, quand elle ne les subjuguait pas tout d’un coup.

Aucunement dévote, instruite sérieusement, elle avait pour elle-même une belle bibliothèque ; pour les autres, une table dont on parlait, abondante et recherchée. La politique était son goût, son occupation constante. Elle en avait, sinon le génie, du moins la sagacité et la vive pratique. La campagne, le tête-à-tête avec son mari l’ennuyaient à mourir ; elle ne s’en cachait pas. Jamais elle n’avait pu s’habituer ni à la belle terre de Pezeau que le prince de la Trémoïlle possédait héréditairement en Berry, ni même au châ-