Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/374

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Dans la vie retirée que je menais, le rugissement des lionnes arrivait à peine. Mais, vers cette même époque, j’eus occasion de voir d’assez près deux personnes qui, d’une autre manière, occupaient les entretiens : la princesse Belgiojoso et madame Récamier.

La princesse Belgiojoso était alors au plus aigu de sa crise théologique. Lorsqu’on lui rendait visite dans son petit hôtel de la rue d’Anjou, on la surprenait d’ordinaire à son prie-dieu, dans son oratoire, sous le rayon orangé d’un vitrail gothique, entre de poudreux in-folio, la tête de mort à ses pieds ; un saint homme la quittait, le prédicateur en vogue, l’abbé Combalot ou l’abbé Cœur.

Avant que d’arriver à l’oratoire, on avait traversé une chambre à coucher tendue de blanc, avec un lit de parade rehaussé d’argent mat, tout semblable au catafalque d’une vierge. Un nègre enturbanné, qui dormait dans l’antichambre, faisait en vous introduisant dans toute cette candeur un effet mélodramatique. Jamais femme, à l’égal de la princesse Belgiojoso, n’exerça l’art de l’effet. Elle le cherchait, elle le trouvait dans tout ; aujourd’hui dans un nègre et dans la théologie ; demain dans un Arabe qu’elle couchait dans sa calèche pour en ébahir les promeneurs du Bois ; hier dans les conspirations, dans

    avec laquelle elle aimait, de son courage, de sa fierté, de ses yeux vifs, et de ses cheveux trop dorés. »