Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/375

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l’exil, dans les coquilles d’œufs de l’omelette qu’elle retournait elle-même sur son feu, le jour qu’il lui plaisait de paraître ruinée. Pâle, maigre, osseuse, avec des yeux flamboyants, elle jouait aux effets de spectre ou de fantôme. Volontiers elle accréditait certains bruits qui, pour plus d’effet, lui mettaient à la main la coupe ou le poignard des trahisons italiennes à la cour des Borgia. Quoi qu’il en soit. lorsqu’elle vint me voir, elle ne put cacher son dépit. On m’avait dit mourante, elle accourait à mon chevet ; elle venait me donner des soins, me disputer à la mort, me convertir à la foi : c’eût été un effet de sœur de charité ou de Mère de l’Église. Par malheur, je n’étais qu’enrhumée. Je la reçus debout. Comme elle vit que l’effet n’était ni en moi ni autour de moi, elle cessa de me rechercher, et tout se borna, entre nous, a un rapide échange de politesses.

Quant à madame Récamier, l’occasion de nous voii fut plus simple et plus sérieuse. Nous avions des amis communs. L’un d’eux, M. Brifaut, lui ayant parlé d’un travail sur madame de Staël, que je me proposais de faire, l’amie de Corinne me fit dire obligeamment qu’elle tenait à ma disposition des correspondances qui pour raient, peut-être, me servir. Nous convînmes avec M. Brifaut d’une visite à l’Abbaye-au-Bois. À quelques jours de là — c’était vers la fin du mois de mars 1849 — une après-midi, je montais les degrés humides et