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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/49

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Nous passions invariablement, de préférence, par une certaine allée très-encaissée, très-sombre, très-humide, que j’affectionnais entre toutes à cause de la végétation particulière qui croissait sur ses parois argileuses : mousses, fougères, lichens, orchis, champignons, et que j’avais nommée, par amplification, pour lui donner sans doute un air de mystère, l’allée souterraine !

Surmontant la répugnance que j’ai eue toute ma vie pour ce qui rampe, je rapportais de mes promenades, avec des paquets d’herbes et de mousses, des chenilles que j’enfermais dans des boîtes à couvercles transparents, et dont mon père, à mesure qu’elles s’opéraient, m’expliquait les métamorphoses. Les orchidées aux formes imitatives, l’orchis mouche, l’orchis homme pendu, que j’essayais de transplanter dans nos plates-bandes, les boutures et les greffes que je voyais faire au jardinier, la goutte d’eau que mon père me montrait au microscope, les transformations du têtard et de la grenouille dans la mare, l’éclosion des volatiles dans la basse-cour et jusqu’à la toile d’araignée suspendue au plafond des étables, tous ces objets, à la fois surprenants et familiers à mes yeux à peine ouverts sur le monde, me donnèrent une habitude précoce avec le phénomène universel de la métamorphose. Avant toute réflexion, avant toute étude, la notion spinoziste de la vie entrait en moi par les sens ;