Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/56

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fait d’un gentilhomme. Ses auteurs étaient Horace, Ovide, Rabelais, Montaigne, La Fontaine, par-dessus tout Voltaire. C’est de ces ouvrages, païens ou profanes, en choisissant les morceaux, et jamais des Écritures saintes, que mon père tirait pour moi ses dictées. C’est en écrivant les histoires de la mythologie que je me formai la main. Je connus l’enlèvement de Proserpine bien avant l’annonciation de la Vierge Marie ; et j’ignorais encore la crèche et l’Enfant Jésus, que déjà j’admirais le berceau prodigieux du petit Hercule. Ainsi, au plus loin que remonte ma mémoire, je me vois, ce que je suis restée toute ma vie : à la fois Allemande et Française par le sang, par la nourriture du corps et de l’esprit ; sensible aux beautés de Schiller et de Mozart comme à celles de Molière et de Voltaire : de telle sorte que je n’ai jamais su bien démêler vers quel côté j’inclinais le plus[1] ; et que, en y regardant de près, je ne me suis jamais sentie, à bien dire, ni Française ni Allemande entièrement ; mais comme à part, isolée, un peu étrangère, aussi bien dans le pays où j’ai vu le jour que dans celui où la destinée m’a fait vivre ; je devrais ajouter, pour être sincère, étrangère aussi un peu, en mainte occasion, à moi-même et à ceux qui m’ont aimée.

  1. La guerre en 1870 me jeta hors d’incertitude, en me faisant sentir, à l’iolensité de mes angoisses, combien m’était chère, au-dessus de tout, la patrie française.

    (Note écrite en 1872.)