Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/57

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J’ai dit qu’il n’y avait eu dans mon enfance aucune contrainte. J’en oubliais deux, passagères il est vrai, mais vivement ressenties parce qu’elles faisaient contraste avec ma liberté habituelle. Je demande encore un peu d’indulgence pour ces récits puérils où je sens que je me complais trop ; ils vont finir ; ce qui me reste à dire est très-court.

À l’époque dont je parle, de 1809 à 1815, la plus petite distance, même franchie en poste, constituait ce qu’on appelait un voyage. On en délibérait, on s’y apprêtait de longue main. La vieille duchesse douairière de Montmorency, lorsqu’elle se rendait, pour y passer l’été, à sa maison d’Auteuil, se commandait pour la route un habit de nankin. — Qu’on s’imagine ce que devait être l’éloignement de Paris à Monnaie, soixante lieues ! Longtemps à l’avance on discutait en famille le jour du départ. Les préparatifs ne duraient pas moins de quinze jours. On partageait en deux ce grand trajet. On s’arrêtait à mi-chemin, à Chartres, pour y passer la nuit dans une affreuse auberge, où l’on soupait d’un fricandeau à l’oseille réchauffé, et servi par la plus malpropre des maritornes. Ce grand déplacement, les emballages et les déballages qui suspendaient pour un temps l’habitude, n’avaient rien qui me déplût, au contraire. Rien de plus gai d’ailleurs que la façon de voyager des gens riches avant l’invention des chemins de fer.