Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/62

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On entrait dans le mois de mars de l’année 1815. Nous étions à Paris. Depuis quelques jours je voyais autour de moi les visages changer ; j’entendais entre mon père et ses amis des chuchotements ; il venait chez nous des gens que je n’y avais jamais vus auparavant ; on me renvoyait alors du salon. Un matin, le cocher tira de la remise la voiture de voyage ; on en lit monter les caissons. La femme de chambre y emballa beaucoup de hardes, tout cela très à la hâte et comme avec un air de mystère. Je n’osais rien demander, tant on me paraissait grave. Le lendemain, au dîner, j’appris que mon père était parti ; pour où ? on ne le disait point ; je pris peur et je me cachai pour pleurer. Tout à coup, vers l’heure où d’ordinaire on m’envoyait dormir, j’entends un bruit de grelots dans la cour ; le chasseur vient avertir que les chevaux de poste sont là. On m’enveloppe d’un manteau fourré ; on me porte dans la berline où ma mère et mon frère étaient déjà. On m’assied entre eux deux. Pendant la route, j’apprends que nous allons à Francfort, chez ma grand’mère. Le soir du septième jour (nous avions couché trois fois pendant le trajet), nous arrivions ; et je montais l’escalier, étranger pour moi, de la maison Bethmann, étourdie par les éclats de voix germaniques, par les embrassements confus d’une multitude de tantes et de cousines que je ne connaissais pas ; le cœur gros, les yeux pleins de larmes, pen-