Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/77

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donné à sa fille, en sa présence, l’offusquait ; et lorsque ses gens, parlant de moi, me désignaient, selon l’usage allemand, sous le nom de petite comtesse, kleine Gräfin, elle souriait d’un sourire sarcastique qui me déplaisait fort et que je ne m’expliquais pas du tout[1].

Mon oncle Bethmann était, pour ses sœurs et pour leurs enfants, toujours aimable, et je lui entendais dire, à l’occasion, sur mon joli visage, des choses qui ne me déplaisaient pas ; mais sa vivacité extrême effarouchait ma timidité, et d’ailleurs il ne faisait que des apparitions dans le cercle de famille. Quant à ma tante Hollweg, qui ne m’adressait jamais la parole, quant à mes cousins et cousines, que je distinguais à peine les uns des autres, tant la discipline de la maison les faisait pareils dans le silence, j’éprouvais à leur égard plus d’éloignement que d’attrait. Comme aussi je

  1. J’ai compris plus tard ce sourire de ma grand’mère en retrouvant dans la bourgeoisie française exactement les mêmes préventions, avec cette malehumeur envieuse qui lui fait attacher aux titres de noblesse une importance que ces titres n’ont jamais eue aux yeux des gentilshommes. En France, autrefois, on ne considérait comme titrés que les ducs, et cela parce qu’ils avaient, à la cour, des préséances. Jamais, avant certaines fréquentations et certains incidents que je raconterai plus loin, parce qu’ils m’ont paru du meilleur comique, je n’aurais imaginé que, dans notre pays d’égalité, sous notre niveau démocratique, ce ne fût pas à tous les yeux chose indifférente d’être ou de n’être pas comte, vicomte, marquis, comtesse ou baronne.