Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/86

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tuer le souvenir , devait ressembler beaucoup à ma simarre. Je me figure que ce goût des riches manteaux pouvait bien être à Francfort un souvenir du manteau impérial et de ceux que portaient les hauts dignitaires pendant les cérémonies du couronnement : souvenir d’enfance pour la plupart, qui, au dire de Goethe[1], considéraient cette époque du couronnement, quand ils y avaient participé ou seulement assisté, comme le point culminant de leur existence ; souvenir ineffaçable qui se ravivait, de génération en génération, à chaque couronnement. Quoi qu’il en soit, ce vêtement à grand effet, qui attirait sur moi tous les yeux, loin de me rendre glorieuse, me fut un supplice moral cent fois plus difficile à supporter que la gêne matérielle de ma Minerve, et la première demande que j’adressai à ma mère, lorsque nous eûmes quitté Francfort, ce fut de me promettre que l’on ne me ferait plus jamais porter ma simarre.

On le voit, ce premier séjour en Allemagne ne marque dans ma mémoire que par des impressions vagues de refoulement et d’une sorte d’isolement mélancolique au milieu des bruits d’un pensionnat ou d’un cercle de parenté nombreux. Une seule chose me reste distincte : un souvenir auquel, toute ma vie, s’est attachée pour moi une sorte de superstition.

  1. Kaulbach, dans sa jolie composition : Goethe à Francfort.