Page:Sterne - Œuvres complètes, t1-2, 1803, Bastien.djvu/19

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la parole : « J’ai chez moi, dit-il, un épagneul qui est charmant : c’est le meilleur chien de chasse qu’il y ait dans toute la province ; mais il est d’un caractère si sauvage, si farouche, il s’élance surtout avec tant de férocité contre des gens qui ne lui ont point fait de mal, que je suis résolu de le faire noyer. » — L’étranger sentit l’allégorie, et se retira sans rien dire.

On venoit de faire une superbe édition de Rabelais ; Sterne qui avoit beaucoup entendu parler de cet auteur se le procura. Dès ce moment, il abandonna tous les soins de son canonicat, et ne s’occupa plus que du curé de Meudon, et de ses ouvrages. On se plaignoit de ne le plus voir dans les cercles dont il faisoit l’amusement.

Il étoit absolument inconnu dans la capitale. C’étoit pourtant là qu’il vouloit faire imprimer les deux premiers volumes de son Tristram Shandy. Il les envoya à un des libraires qui publioit le plus de nouveautés, et lui marqua le prix qu’il en vouloit : celui-ci les lui renvoya. Il se décida alors à les faire imprimer à Yorck. On ne lui en offrit pas ce que le papier et la copie de son manuscrit lui avoient coûté. Mais à peine l’ouvrage parut-il, qu’il fut enlevé avec une rapidité incroyable. On lui donna mille guinées pour en permettre une seconde édition.

Tristram Shandy se trouva entre les mains de tout le monde. Beaucoup le lisoient, et peu le comprenoient. Ceux qui ne connoissoient point Rabelais, son esprit, son génie, le comprenoient encore moins. Il y avoit des