Page:Sterne - Œuvres complètes, t1-2, 1803, Bastien.djvu/217

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passion pour le caractère, l’honneur et la réputation de notre famille ? — et de quel poids, disoit mon père, est tout cela, quand il s’agit de prouver une hypothèse ? L’existence même d’une famille n’est rien. — L’existence d’une famille !… s’écrioit mon oncle Tobie, en se jetant en arrière dans son fauteuil, et en levant les mains, les yeux et une jambe. — Oui, l’existence d’une famille, disoit mon père, et je ne m’en dédis pas. — Combien de milliers d’enfans, chaque année, font naufrage en arrivant dans ce monde, et dont on se soucie aussi peu dans toutes les nations civilisées, que de l’air commun ? — une idée, un système ?… Quelle différence, frère, dans les objets de comparaison ! — Oui, de la différence, disoit mon oncle ; chaque exemple que vous citez est un meurtre, quelle que soit la personne qui le fasse. — Et voilà votre méprise, répliquoit mon père ; car in foro scientiae, il n’y a pas de meurtre, frère, ce n’est que la mort. »

Que répondoit à cela mon oncle Tobie ? Rien : mais il siffloit quelques notes d’un air qui lui étoit familier. — C’étoit là le canal par où ses passions s’évaporoient, lorsque quelque chose le choquoit ou le surprenoit.