Page:Sterne - Œuvres complètes, t1-2, 1803, Bastien.djvu/516

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mises, une paire de souliers de maroquin, et une culotte de satin cramoisi ; c’étoit-là tout son bagage. Halte-là, lui dit le soldat qui montoit la garde à la porte : d’où venez-vous ? où allez-vous ? — D’où je viens, mon ami ? connois-tu le Cap des Nez ? eh bien ! c’est de-là que je viens, et je vais à Francfort. Je repasserai ici dans un mois, pour aller sur les frontières de la Tartarie-Crimée. La sentinelle leva les yeux sur l’étranger, et le regarda fixement : je n’avois jamais vu un pareil nez !… — Tu t’étonnes ! va, il m’a procuré d’heureux hasards. Je le crois, dit la sentinelle… Je t’en souhaite autant.

Tout en disant cela, le cavalier, en dégageant son poignet d’un ruban noir où pendoit un court cimeterre, coula légèrement un florin dans la main de la sentinelle. Je suis fâché, dit le soldat à un petit tambour bancroche, qui étoit présent, que ce galant homme ait perdu le fourreau de son sabre. Il lui en faut un absolument, et l’on est si mal-adroit ! Je n’en ai pas besoin, reprit l’étranger, dont la mule alloit si doucement qu’il avoit tout entendu.

Je porte mon cimeterre nu, dit-il en le levant en l’air, pour qu’il soit plutôt prêt à défendre mon nez.