Page:Sterne - Œuvres complètes, t1-2, 1803, Bastien.djvu/520

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l’hôte et l’hôtesse n’avoient pas détourné les yeux de dessus.

Par Sainte-Radegonde ! s’écrioit celle-ci en elle-même, les douze plus beaux nez de Strasbourg ne valent pas le sien ! Mon ami, dit-elle à l’oreille de son mari, conviens que c’est-là un fier nez.

Allons donc, dit-il ! es-tu assez sotte pour ne pas voir que c’est un nez postiche ?

Oh pardi ! reprit-elle, avec la permission de monsieur…

Pardon, madame, dit l’étranger ; je vois ce que vous désirez ; mais j’ai fait vœu à Saint-Nicolas que qui que ce soit ne touchera à mon nez, jusqu’à ce que…

Puis il piqua des deux, et partit sans dire un mot de plus.

Il n’avoit pas fait une demi-lieue, que tout étoit en rumeur dans la ville de Strasbourg. On sonnoit complies ; les cloches appeloient de toutes parts les Strasbourgeois ; aucun ne les entendoit. Les hommes, les femmes, les enfans couroient çà et là, pêle-mêle, allant, venant, se heurtant, se croisant à cette porte, à celle-ci, à celle-là, à cette autre, dans cette rue, dans cette place. L’avez-vous vu ? Qui est-ce qui l’a vu ? ce n’est pas moi ; ni moi, qui donc ?