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Page:Stevens - Contes populaires, 1867.djvu/104

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PIERRICHE.

boulets rouges sur son bonheur conjugal, lorsqu’un beau soir ou plutôt un vilain soir qu’il était revenu plus maussade et plus bourru que de coutume, il se mit à dire et à redire, répéter et répéteras-tu son éternelle complainte :

— Si les femmes sont bonnes à quelque chose, assurément elles ne sont pas bonnes à grand’chose…... un homme fait dix fois plus de besogne qu’aucune d’elles en une journée.

Cette fois Madelon n’y tint plus, on se serait lassé à moins. S’il est vrai que les airs les plus beaux finissent par fatiguer à force d’être joués, à plus forte raison une complainte aussi insipide, aussi fatigante et d’une telle ténacité devait-elle aboutir à une révolte.

Toutefois Madelon ne mit aucun emportement dans ses reproches :

— Pierriche, dit-elle d’une voix émue, mon bon Pierriche, il y aura demain huit ans que nous sommes mariés, et ce serait mal commencer la neuvième année que de continuer de la sorte. Est-ce cela que tu m’avais promis quand tu as juré devant le bon Dieu et devant Mr. le curé, d’être toujours bon pour moi ? Est-ce cela que tu me promettais quand j’étais fille et que tu venais me voir, tous les soirs, sur la brune ? Me disais-tu, dans ce temps-là, que les femmes ne sont pas bonnes à grand’chose ? Pourquoi donc m’as-tu prise alors, mon pauvre cher Pierriche ? Te rappelles-tu cette fois que tu m’avais apporté ces beaux souliers français que j’ai encore aujourd’hui ? alors tu n’étais pas un gros méchant bourru comme maintenant, et tu me disais de ta voix la plus douce : ma chère petite Madelinette, tes pieds sont trop jolis, trop délicats, pour être enfermés le dimanche dans des souliers de bœuf, mets ceux-ci pour l’amour de ton Pierriche, ce seront tes souliers de noces ; et nous ne nous sommes mariés que trois ans et demi après ! tu le sais bien…....