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Page:Stevens - Contes populaires, 1867.djvu/128

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PIERRE SOUCI DIT VA-DE-BONCŒUR

cution, la bonne foi générale commençait à faire place à l’incrédulité la plus opiniâtre.

— Quand je vous dis, Père Goguelu, s’écriait en s’animant de plus en plus M. Petit-Jean, qu’il y a des journées que j’ai fait jusqu’à deux cents piastres ! Ce n’est pas bien rare là-bas, on y gagne plus vite une piastre que par ici une cope ! Il y en a qui ont fait jusqu’à dix mille piastres en six semaines de temps !

— Oh ! bateau, qu’est-ce que c’est ça ! Il y a bien du sorcier là-dedans, répétait en chœur la galerie.

— Pas plus de sorcier qu’ici dedans, continuait M. Petit-Jean, en promenant sur l’auditoire un regard de défi ; faites comme moi, allez-y donc, et vous verrez si tout ce que je vous dis n’est pas la pure vérité. Mais non ; les pauvres habitants aiment mieux rester chez eux, à s’échiner comme des mercenaires ; et ils n’en sont pas plus riches une année que l’autre. Aujourd’hui, ce sont les sauterelles qui viennent manger les clôtures ; demain c’est l’avoine qui manque ; une autre fois les bleds gèlent sur pied ; il y a toujours quelque chose qui va de travers ! Je vous le demande un peu, ne vaut-il pas mieux essayer de devenir riche tout d’un coup en faisant comme nous, plutôt que de travailler toute sa vie une terre sur laquelle on n’aura peut-être pas la chance de mourir. Et puis, dans les États, on ne voit pas de la misère comme par ici. Il y a partout du travail autant qu’on en veut, et le gagne est gros. Ouaiche ! ne me parlez pas de notre pauvre pays pour faire de l’argent ; celui qui n’a rien et qui a une famille est aussi sûr d’y crever de faim, que vous êtes là devant moi, Père Goguelu, à fumer votre pipe. Tenez, il n’y a pas si loin à aller pour en juger. Ce matin, quand j’ai passé par la Petite Misère, j’ai vu des petits enfants courir dans la neige, nu-pieds, et presque sans culotte, plus de trois quarts d’arpent, pour demander