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PIERRE SOUCI DIT VA-DE-BONCŒUR.

la charité. Ma bonne vérité, je crois bien que si les chiens étaient hivernés comme beaucoup de ces pauvres gens ils seraient obligés, au printemps, de s’accôter contre les murailles pour japper.

De tous les auditeurs de M. Petit-Jean, personne n’avait recueilli plus avidement ses paroles que Pierre Souci, le fils de la maison, héros principal de cette singulière odyssée. C’était un jeune homme de taille moyenne, bien pris, d’une physionomie franche et ouverte et dont le menton commençait à se couvrir d’un duvet blond et clairsemé. Sorti du collège depuis un an, après avoir fait de médiocres études, il était arrivé à cet âge important et difficile de la vie où le choix d’une carrière décide de notre avenir. Le père Souci, qui ne savait ni lire ni écrire, et niait énergiquement l’utilité du latin dans l’agriculture, désirait que son fils devint laboureur comme lui ; mais la mère, qui nourrissait pour son Pierre chéri des projets de grandeur, aurait voulu le voir avocat ou tout au moins notaire public. Malheureusement, l’éducation tronquée qu’avait reçue le jeune homme, lui faisait envisager avec dédain la profession paternelle, non qu’il rougît de son père, il était trop bon fils pour cela, mais il se croyait trop savant, et il avait contracté des habitudes trop oisives pendant ses huit ou dix ans d’études, pour vaquer aux travaux de la campagne, qu’il déclarait abrutissants et insipides, grâce à sa haute science et à son inexpérience de la vie. D’un autre côté, la faiblesse de ses études ne lui permettait guères de songer au barreau. Pierre passait donc son temps à la chasse et à la pêche, tantôt à pied, tantôt en canot, mais toujours un fusil sur l’épaule, ou une ligne à la main. Puis, lorsqu’il rentrait à la maison, fatigué, harassé, crotté, avec une brochetée de barbottes ou quelque gibier, il se mettait à lire et à relire certains journaux, morts aujourd’hui,