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PIERRE SOUCI DIT VA-DE-BONCŒUR.

Plein de confiance dans ce noble étranger, dont la redingote aux boutons brillants, la moustache en croc et l’air tout-à-fait gentleman, lui rappelaient trait pour trait M. Petit-Jean que nous avons entendu le soir du bouquet, Pierre fut assez candide pour déposer son sac de voyage sur une des caisses qui encombraient le quai, et entr’ouvant sa veste et le col de sa chemise, il alla chercher, sur son cœur, le portefeuille qui contenait toute sa fortune. À peine l’homme à la redingote bleue eut-il entrevu les précieuses piastres françaises que Madame Souci n’avait certainement pas économisées pour lui, qu’il asséna un vigoureux coup de poing entre les deux yeux de sa victime, arracha plutôt qu’il ne prit le portefeuille, et s’éloigna rapidement. Quoique Pierre eût perdu l’équilibre, il n’avait point cependant perdu connaissance. Le premier moment de stupeur, bien excusable, une fois passé, il ne songea qu’à se frotter vivement les yeux et à rattraper son voleur. Plongeant un regard anxieux et désespéré dans les profondeurs de la rue, il aperçut, dans un lointain brumeux, la redingote bleue aux boutons de métal se promenant au petit pas comme le plus honnête flâneur des deux mondes.

Pierre aurait dévancé un orignal à la course ; aussi rejoignit-il son homme en un clin-d’œil, et le saisissant à la gorge, il lui cria d’une voix emportée en serrant le nœud de la cravate : — mon argent, misérable ! mon argent tout de suite, ou je t’étrangle !… Mais le filou ne se souciait guère plus de rendre l’argent que de se laisser étrangler. Saisissant Pierre à bras le corps, il lui avait donné un violent croc en jambe et tous deux roulèrent à terre, la redingote bleue par-dessous et Pierre par-dessus, ne lâchant pas prise, et criant de toutes ses forces : mon argent ! mon argent !

À la vue de cette lutte quelques curieux avides de