Page:Stevens - Contes populaires, 1867.djvu/156

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
141
PIERRE SOUCI DIT VA-DE-BONCŒUR

flots avec ses roues bruyantes, et l’aboiement monotone d’un chien de garde, que répétaient d’autres chiens, de loin en loin.

La grand’route était déserte, et celui qui avait vu, il y a cinq ans, partir le pauvre Pierre, d’un air si triomphant, si dégagé, si sûr de lui-même, ne l’aurait certes pas reconnu, tant la démarche mal assurée du voyageur annonçait la fatigue et de cruelles déceptions.

Il avançait d’un pas lent, inquiet, furtif, évitant avec le plus grand soin de passer le long des fenêtres éclairées.

À mesure qu’il approchait de la maison paternelle, il reconnaissait les lieux de son enfance.

Les bords du grand fleuve étaient toujours les mêmes ; seulement de temps à autre, il remarquait que la grève s’était rétrécie, et que là, où il avait couru, enfant, pieds nus et un fusil sur l’épaule en quête de pluviers ou de canards, il y avait aujourd’hui de l’eau et des joncs.

Parfois aussi une maisonnette qu’il avait vue jadis sur le bord de la côte était venue se placer de l’autre côté du chemin, et des arbres qui lui prêtaient autrefois un ombrage si gai — doux abri des oiseaux — les uns étaient couchés tristement dans la rivière, montrant, çà et là, leurs branches dépouillées ; les autres abattus par la cognée avaient servi probablement à chauffer la famille pendant les longues et froides nuits d’hiver.

En longeant la clôture du cimetière sur lequel se projetait l’ombre de la flèche argentée de l’église, comme si elle eût voulu protéger ceux qui dormaient leur dernier sommeil, Pierre vit quelques tombes de plus. Quelques-unes avaient déjà commencé à se couvrir d’un gazon clairsemé dont le vert tendre contrastait avec la teinte sombre des hautes herbes ondulant