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Page:Stevens - Contes populaires, 1867.djvu/182

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LES TROIS VÉRITÉS.

vives, car il y avait vingt-quatre couverts. Cependant Jean Lafortune se trouvait seul avec l’hôtelier, et il n’apercevait pas même l’ombre d’un domestique.

Tout cela était étrange, merveilleux et terrible.

L’hôtelier s’assit au haut bout de la table, et d’un geste plein d’autorité invita Jean à se placer à côté de lui.

Jean obéit et s’assit sans dire mot.

Comme il se disposait à porter à la bouche l’aile appétissante d’une dinde rôtie, il entendit jouer un ressort secret ; et ce bruit sec, lugubre, venant du fond de la salle, le fit rester en suspens, la main à la hauteur des lèvres, et la fourchette sous le nez.

Tout à coup, une armoire s’ouvrit à deux battants, presque en face de lui, à l’endroit même d’où était parti ce bruit qui l’avait inquiété, et livra passage à un fantôme.

C’était une femme ou plutôt un spectre décharné, d’une pâleur sinistre comme le linceul qui la couvrait de la tête aux pieds.

À voir les boucles de sa longue chevelure noire comme l’aile du corbeau éparses sur la blancheur du suaire, on eût dit des vipères se jouant sur la neige.

Il s’avançait lentement, solennellement vers le haut bout de la table, ses yeux caves et ardents fixés sur le voyageur.

Arrivé en face de l’hôtelier, le spectre s’arrêta, et entr’ouvant son linceul, tendit un crâne vide et luisant qu’il portait à la main.

En ce moment, les trois personnages vivement éclairés par les nombreuses bougies qui illuminaient la salle, présentaient un étrange coup-d’œil. Deux paraissaient pétrifiés tant leur immobilité était grande, l’hôtelier seul s’agitait en découpant les viandes et le pain qu’il jetait au fur et à mesure, dans le crâne, sans prononcer une seule parole.