Chers lecteurs, la bénédiction nuptiale a été donnée ; désormais, devant Dieu et devant les hommes, Mlle Lucie Pétoche Latulipe est devenue Madame Bostonnais. Le déjeuner a suivi de près la cérémonie religieuse, et voilà que toute la noce monte en calèche pour la promenade de rigueur, — petit bout de chemin de 25 milles environ, — chacun des Pétoche et des Sans-Gène menant lui-même le coursier superbe que sa main a nourri, suivant la mode introduite depuis longtemps par l’intrépide Hypolite, sans toutefois imiter le silence affligeant du disciple de Théramène, lors de sa mélancolique sortie des portes de Trézènes.
Maintenant nous voici au diner : et quel diner ! quelle différence avec ces grands repas de nos jours, où il y a plus d’ostentation et de contrainte que d’agrément et d’entrain ! Il n’y a point là de visages inconnus et bien souvent désagréables ; il n’y a point cette froide étiquette, cette réserve prétendue bon ton qui met en fuite la gaîté. Tous les Pétoche et tous les Sans-Gène rangés autour de trois tables immenses se connaissent parfaitement et se renvoient l’un à l’autre, des bons mots, de grosses plaisanteries qui font éclater par toute la salle un rire franc et continu. Il n’y a pas de danger qu’aucun d’eux s’avise de prononcer un long discours très ennuyeux ou bien de porter des santés en l’honneur de tel ou tel personnage, de tel ou tel projet qui nous sont aussi inconnus que la Tartarie ou aussi indifférents que le grand Turc, mais en revanche les chansons circulent à la ronde et les refrains sont vigoureusement accompagnés par toute la noce.
Cependant les plus habiles ménétriers de l’endroit sont arrivés à leur poste et le violon et le tambourin viennent de donner le signal de la danse si impatiemment attendu.
Les invités se sont levés comme un seul homme aux