de ses noces. Lui aussi a subi l’irréparable outrage des années, et je doute fort, chers lecteurs, que vous puissiez encore le reconnaître au portrait que je vais essayer de vous tracer.
Assis ou plutôt couché dans un vaste fauteuil, devant le manteau de la cheminée où brûle en pétillant un feu de branches sèches quoiqu’on soit au mois de juin, Télesphore le Bostonnais sommeille au bruit monotone et régulier d’une grande vieille horloge de bois qui occupe tout un coin de la chambre. Son visage pâle et amaigri, labouré de rides, disparaît à moitié sous une tuque immense qui s’élève droite comme un clocher, et ses mains osseuses où courent de grosses veines livides semblent retenir avec effort une paire de béquilles.
Des paroles incohérentes, entremêlées de soupirs douloureux arrachés par la souffrance s’échappent de ses lèvres blanchies que le rire a désertées. Le vieillard revoit en songe sa Luce tant aimée qui n’est plus… Ses amis d’autrefois qui eux aussi dorment leur dernier sommeil… et de temps à autre il les appelle par leur nom…
Tout d’un coup, la porte s’est ouverte sans bruit, et la Mort avançant à pas de loup s’est arrêtée devant Télesphore le Bostonnais.
Puis, satisfaite sans doute de son examen — elle lui dit en le secouant :
— Télesphore ! Télesphore ! es-tu prêt ?
— Qui est là ?… Qui va là ?… Est-ce toi, ma Luce ?… Est-ce toi la Babiche ? fit le vieillard se réveillant en sursaut et étendant les bras dans le vide comme pour saisir quelque chose.
— Ce n’est point ta Luce, ce n’est point La Babiche… c’est moi, poursuivit la Mort, me reconnais-tu ?
Cependant le Bostonnais avait décroché, avec effort une énorme corne de bœuf appendue à son fauteuil, et