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TÉLESPHORE LE BOSTONNAIS.

après se l’être appliquée à l’oreille, continuait à crier d’une voix moitié grommeleuse, moitié plaintive :

— Qui est là ?… qui va là ?…

— C’est moi, répéta la Mort en haussant la voix, c’est moi… me reconnais-tu…

— Ah c’est toi ! s’écria Télesphore en faisant un effort inutile et douloureux pour se lever, Ah ! c’est toi !… Et que me veux-tu ?

— Je viens te chercher.

— Me chercher ?… oh que non !… poursuivit le Bostonnais en grommelant… Je n’ai pas encore la moindre envie de quitter ce monde… d’ailleurs ton mandat d’extradition n’est pas en règle. Il y manque les trois avertissements convenus, et je ne pars point sans cela. Quand on promet, il faut tenir, et il y a évidemment chez toi mauvaise foi et manque de parole.

En proférant ces mots à moitié étranglés par la colère, Télesphore se cramponnait à son fauteuil comme s’il eût craint que la Mort voulût l’en arracher de force.

— Remettez-vous, mon pauvre vieux Télesphore, et surtout point de colère, car avec moi on ne regimbe point, fit la Mort en jetant un regard de pitié sur le malheureux vieillard. D’ailleurs, à votre âge, il convient d’être calme. Examinons donc froidement notre cause et laissons les invectives à ceux qui n’ont point d’arguments. Si je suis venue, c’est parce qu’il me semblait que voilà assez longtemps que tu vis, et qu’après tout, tu ne dois plus être à même, aujourd’hui comme jadis, de pincer un menuet, de dompter un étalon fougueux, de labourer tes champs, de…

— Le beau moyen de faire encore tout cela, interrompit Télesphore, lorsqu’on est perclus de la moitié de ses membres. Voilà déjà quatre ans, depuis la St. Martin, que j’ai été frappé de paralysie.