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Page:Stevens - Contes populaires, 1867.djvu/259

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LES TROIS FRÈRES

n’ont pas été confiés à des soins mercenaires, et leur bonne mère n’a pas cru qu’il lui suffisait d’être mère par le sang, elle a voulu aussi l’être par l’esprit et le cœur en façonnant de bonne heure leurs jeunes intelligences à l’amour du bien et de la vertu. C’est elle qui — tout en vaquant aux soins du ménage, — leur sert de maîtresse et de répétiteur complaisant au retour de l’école, et dans l’accomplissement de cette douce corvée, elle éprouve des jouissances autrement pures, autrement profondes, que ces pauvres mères oublieuses de leurs devoirs et de leurs familles — dont le pied furtif n’aime point leur propre foyer, et qui se préparent de longue main — dans le tourbillon et l’enivrement des bals et des soirées — une abondante moisson de remords et de stériles regrets.

Théodore, de son côté, malgré son petit revenu, fait partie de toutes les bonnes œuvres dont il est l’un des membres les plus actifs et les plus utiles. Il a trouvé le secret de venir en aide à tous ceux qui sont dans la peine, et dans plus d’une mansarde son nom et celui de sa femme ne sont prononcés qu’avec respect et bénédiction. C’est un cœur d’or, en un mot, que ce bon Théodore qui sait compatir au malheur et à la souffrance d’autrui, parce que lui-même a eu à souffrir et à lutter contre la mauvaise fortune, tandis que son frère Alfred à qui tout a réussi comme à souhait, qui occupe un hôtel magnifique, qui a des équipages et des laquais — n’est devenu qu’un égoïste fieffé. Mais ainsi va le monde. La plupart des gens qui arrivent à une position inespérée, finissent par ne plus se reconnaître et perdent la tête. La Fortune vient à peine de les avoir comblés de ses faveurs, qu’on les voit tout-à-coup changer d’airs, d’humeur et de ton. On dirait même qu’elle leur a fait perdre la mémoire du passé ; car on observe très-souvent que l’homme heureux oublie