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PIERRE CARDON.

Après les affaires du prochain, qui occupent je ne sais trop pourquoi, la première place dans les entretiens du village, la conversation vint à tomber sur un sujet plus délicat, et qui va nous donner l’occasion d’apprécier, en peu de lignes, les vues et le caractère du digne traversier.

On en était au chapitre des jeunes personnes à marier, et des bons partis, — chapitre intéressant, qui fournit toujours les plus longs commentaires, — lorsque quelqu’un de la société fit remarquer que Marie était assez grande, et surtout trop bien éduquée, pour ne pas trouver bientôt un Notaire ou un Avocat.

— Ou bien un Docteur, ajouta M. Merlan, le plus proche voisin dont le fils, maître d’école de l’endroit, se préparait à la profession de médecin, en suivant un cours aussi complet que possible, les jours de congé, chez un des Sangrados du village.

— J’aimerais mieux un marchand, hasarda timidement une voix, qu’en penses-tu Marie ?

— À la bonne heure, Mame Chaloupin, parlez-moi d’un marchand, se hâta de dire le père Martin, sans donner le temps à sa fille de repondre, ou bien encore, d’un bon habitant. Ceux-là ont du pain cuit dans la hûche, et il n’y a pas de danger que leur femme connaisse la misère. Mais aller donner ma fille à un pauvre diable de Notaire ou à un Avocat sans causes, comme il y en a de tous bords et de tous côtés ! J’aimerais, cent fois mieux, la voir avec un ouvrier sobre et travaillant. Tenez, il n’y a pas si loin à aller. Combien y en a-t-il d’Avocats et de Notaires par chez nous ? Ils sont drus comme les doigts de la main, et ils se mangent les uns les autres. Ne m’en parlez pas de vos hommes de profession, on n’en voit bien que trop, car c’est étonnant comme cette graine-là pousse vite. De mon temps il fallait faire trois ou