quatre lieues pour trouver un Médecin, et on ne s’en portait pas plus mal. Défunt mon grand’père, dont le bon Dieu ait l’âme, a vécu jusqu’à cent ans, vert comme un érable au mois de juillet, et vigoureux comme vous et moi, sans qu’un docteur lui ait jamais tâté le pouls. Aujourd’hui, il y en a partout, il n’y a pas jusqu’aux quatrièmes rangs des concessions qui n’en soient gréés. Il en est de même des Notaires et des Avocats. Je vous le demande un peu, s’il n’y a pas déjà assez de chicane sans eux, et pourtant moins on en manque, plus il en vient. Ma bonne vérité ! ces gens-là ruinent le pays.
Ne vous étonnez pas, chers lecteurs, de cette aversion profonde du père Martin pour les gens de profession en général. Il jugeait des professions en bloc, bien à tort sans doute, d’après ce qu’il voyait chaque jour autour de lui ; et comme il n’avait perdu de vue le clocher de son village que pour voyager sur l’eau, il pouvait fort bien, sans s’en douter, prendre l’exception pour la règle en traduisant des idées aussi hostiles envers des corporations honorées et honorables. Quoiqu’il en soit, ce préjugé était tellement enraciné chez le bonhomme, qu’on lui aurait arraché la langue plutôt que de l’en faire démordre. Les plus beaux arguments échouaient devant sa réponse invariable ; combien y en a-t-il d’avocats, de médecins et de notaires par chez nous ?
Vous voudrez bien encore, chers lecteurs, ne pas perdre de vue que cette scène se passait il y a longues années. À cette époque l’éducation ne marchait pas comme aujourd’hui, à pas de géant ; et le père Martin n’était pas le seul qui confondît dans le même anathême, les hommes de profession en général, et les maîtres d’école en particulier.