assez appris pour maintenir la prospérité de son commerce et se conduire de telle sorte, que les plus mauvaises langues de l’endroit n’avaient jamais eu le moindre petit scandale à amplifier sur son compte. Aussi, passait-il pour le modèle du village, et ne lui reconnaissait-on ni défauts, ni ennemis. Peut-être un examen plus approfondi aurait-il donné tort au fameux adage : « La voix du peuple, c’est la voix de Dieu, » en mettant à nu le côté faible de son caractère, une confiance exagérée en autrui doublée d’un naturel débonnaire. Quoiqu’il en soit, quand on parlait de lui, on disait généralement : il n’y a rien de meilleur que Monsieur Cardon, c’est la bonté même. Triste éloge par le temps qui court, puisque, malheureusement, dans ce siècle de fer, de semblables louanges équivalent à une oraison funèbre : car bien souvent, elles ne s’appliquent qu’à des natures faibles, destinées à devenir la dupe et la proie des mauvais. Il lui manquait encore, sans aucun doute, cette précieuse expérience des choses de la vie qui ne s’acquiert jamais qu’à nos dépens, et coûte trop souvent plus cher qu’elle ne vaut une fois qu’on l’a acquise ; mais quand on commence sa carrière avec une fortune toute faite et un crédit solidement établi, on peut heurter, sans danger sérieux, certains écueils qui briseraient la barque de gens moins bien pourvus.
Comme tous ceux doués d’une âme pure et aimante, Monsieur Cardon avait voulu se marier jeune, et ne point faire du mariage une honteuse spéculation. En choisissant Mademoiselle Martin, dont la position sociale, aux yeux du monde, n’égalait pas la sienne, il s’était rappelé la douce figure de sa mère, de cette bonne et excellente mère qui l’avait tant aimé ; et quoique certaines personnes intéressées ou curieuses, criassent bien haut à la mésalliance, plus le jeune