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LES TROIS DIABLES.

— Eh bien ! répondit l’ivrognesse entre deux hoquets, si tu veux me donner assez d’argent pour que je puisse boire tous les jours, pendant un an, autant de rhum que je voudrai, je te donnerai mon âme.

— À la bonne heure, voilà qui est bien parler ! reprit le diable en ricanant et en tirant de sa poche une bourse pleine d’or ; tenez, brave femme, prenez et buvez comme il faut, et du meilleur……… mais rappelez-vous que dans un an et un jour, vous m’appartenez ; bonsoir !………

Et le diable disparut.

Deux jours après que l’ivrognesse s’était vendue de la sorte, corps et âme, — un pauvre vint à passer devant la porte de Richard et s’arrêta demandant la charité.

Assis sur son banc et martelant des empeignes à coups redoublés, le père Richard ne remarquait pas sa présence.

— La charité, s’il vous plaît, mon petit frère !……… répéta le mendiant.

— Je n’ai rien à vous donner, pauvre homme, et je vous assure que ça me fait bien de la peine de ne pouvoir vous soulager, dit Richard en essuyant une larme avec le coin de son tablier de cuir. Le bon Dieu m’est témoin que je ne demanderais pas mieux que de pouvoir venir au secours des pauvres, mais par malheur je n’ai jamais un sou par devers moi, ma femme boit tout mon gagne. Voilà trente ans que ce commerce-là dure, et le diable seul sait quand ça finira, car je crois bien qu’elle a été ensorcelée.

À ces mots, il s’opéra quelque chose d’étrange dans le maintien du pauvre qui se transfigura pour ainsi dire.