Page:Stevenson - Catriona.djvu/265

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dormir et me promenai dans la chambre, nu-pieds, jusqu’à être transi, car le feu s’était éteint et il gelait dur. La pensée qu’elle était dans la chambre à côté, qu’elle m’entendait marcher peut-être, le souvenir de ma rudesse et l’idée que je devais continuer ainsi sous peine de me déshonorer, tout cela me mettait hors de moi. J’étais entre deux écueils. « Que pensera-t-elle de moi ? » Telle était l’une des réflexions qui me tenaient éveillé. « Qu’allons-nous devenir ? » Telle était l’autre, et cette dernière affermissait mes résolutions. Ce fut ma première nuit de veille et de perplexités et j’en passai ainsi bien d’autres, parfois pleurant comme un enfant, parfois (j’aime à le croire) priant comme un chrétien. Mais prier n’est pas le plus malaisé, c’est dans la pratique que gît la difficulté. Si je me permettais le moindre signe de familiarité, je m’apercevais que je perdais tout empire sur moi-même, et que je ne pouvais plus répondre de ce qui s’ensuivrait. Mais demeurer tout le jour dans la même chambre qu’elle, plongé dans mon Heineccius, cela était au-dessus de mes forces, aussi pris-je le parti de sortir le plus possible, assistant régulièrement aux cours, quoique mon esprit fût ailleurs, comme j’en ai trouvé la preuve sur un carnet de ce temps-là, où j’avais écrit quelques mauvais vers latins. Les inconvénients de cette vie au dehors étaient malheureusement presque aussi grands que ses avantages. Je subissais moins longtemps l’épreuve, mais elle était plus dangereuse, pendant que j’y étais exposé. Cette pauvre Catriona était si souvent seule, qu’elle en était venue à fêter mon retour avec une ardeur croissante, qui était près d’avoir raison de ma sévérité ; je devais arrêter ses avances, et mes rebuffades lui faisaient quelquefois tant de peine que j’étais obligé de mettre bas les armes pour les réparer ; notre temps se passait dans des hauts et des bas, des boutades et des querelles qui me torturaient.