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L’ÎLE AU TRÉSOR

combien éloigné des couleurs et de la souplesse de la vie ! Dans cette position, j’en vins à bout facilement ; et mes aventures tragiques ayant, par l’habitude, fort émoussé mon horreur des morts, je le pris à bras le corps tel un vulgaire sac de son, et, d’une bonne poussée, l’envoyai par-dessus bord. Il s’enfonça avec un plouc ! retentissant, perdant son bonnet rouge qui se mit à flotter à la surface. Dès que l’eau eut repris son niveau, je vis O’Brien côte à côte avec Israël, tous deux agités par le mouvement ondulatoire de l’eau. O’Brien, malgré sa jeunesse, était très chauve. Il gisait là, sa calvitie posée sur les genoux de l’homme qui l’avait tué, et les poissons rapides évoluaient capricieusement sur tous deux.

J’étais désormais seul sur le navire. La marée venait de renverser. Le soleil était si près de se coucher que déjà l’ombre des pins de la rive ouest s’allongeait tout en travers du mouillage et mettait sur le pont ses découpures. La brise du soir s’était levée, et, bien qu’on fût ici protégé par la montagne aux deux sommets, située à l’est, les cordages commençaient à siffler une petite chanson et les voiles flasques battaient çà et là.

J’aperçus le danger que courait le navire. Je me hâtai de filer les focs et les amenai en tas sur le pont ; mais ce fut plus dur avec la grand-voile.

Bien entendu, lors du chavirement de la goélette, le gui avait sauté en dehors du bord, et sa pointe même plongeait sous l’eau, avec un pied ou deux de la voile. Cette circonstance augmentait encore le danger ; mais la tension était si forte que je craignais presque d’intervenir. Enfin, je pris mon couteau et coupai les drisses. Le pic d’artimon tomba aussitôt, la toile s’étala sur l’eau comme un grand ballon vide ; mais ensuite j’eus beau tirer,