Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/122

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lorsque son silence eut commencé à me faire peur ; – et nous avons besoin, vous et moi, de tout notre courage, si nous voulons sauver la maison.

Elle ne répondit rien. Je repris :

– Il y a miss Katharine, en outre. Si nous ne venons à bout d’étouffer cette affaire, le déshonneur sera son seul héritage.

Je ne sais si ce fut l’idée de son enfant, ou le simple mot de déshonneur qui la ranima ; mais je n’eus pas plus tôt parlé, qu’un soupir s’échappa de ses lèvres, un soupir tel que je n’en ouïs jamais : on eût dit qu’elle était écrasée sous une montagne, et qu’elle cherchait à rejeter ce faix. Un instant plus tard, elle avait recouvré la voix.

– Ce fut un combat, murmura-t-elle. Ce ne fut pas…

Et elle n’osait prononcer le mot.

– Ce fut un combat loyal du côté de mon maître, dis-je. Quant à l’autre, il fut tué tout juste comme il employait un coup de traîtrise.

– Impossible ! s’écria-t-elle.

– Madame, dis-je, la haine de cet homme flambe dans mon sein comme un feu ; oui, et malgré sa mort. Dieu sait, j’eusse arrêté le combat, si j’avais osé. J’avoue à ma honte que je ne l’ai pas fait. Mais en le voyant tomber, si ma pitié envers mon maître m’avait laissé le loisir de penser à autre chose, c’eût été pour me réjouir de cette délivrance.

Je ne sais si elle prit garde à mes paroles. Elle prononça :

– Et Mylord ?

– Je m’en charge, dis-je.

– Vous ne lui parlerez pas comme vous m’avez parlé ? demanda-t-elle.

– Madame, dis-je, n’avez-vous pas d’autre souci ? Remettez-moi Mylord.

– Et qui encore ? reprit-elle.

– Votre mari, dis-je.

Elle me regarda d’un air impénétrable.

– Allez-vous lui tourner le dos ? insistai-je.