Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/128

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

milles ; et je me reprochai amèrement cette imprudence. Et combien davantage lorsque je fus arrivé sur les lieux ! Un des flambeaux était renversé, et sa bougie éteinte. Celle qui restait brûlait paisiblement, et faisait un grand rond de lumière sur le sol gelé. L’intérieur de ce cercle semblait, par contraste avec les ténèbres environnantes, plus clair que le jour. Au milieu, il y avait la flaque de sang ; et un peu plus loin, le sabre de Mr. Henry dont le pommeau était d’argent ; mais de corps, nulle trace. Mon cœur sursauta dans ma poitrine, mes cheveux se hérissèrent sur mon crâne, à ce spectacle inattendu, qui m’emplit d’une crainte affreuse. Je regardai de tous côtés ; la terre était si dure qu’elle ne portait aucune empreinte. Je tendis les oreilles jusqu’à me les endolorir ; mais la nuit se creusait au-dessus de moi comme une église vide ; pas la moindre vaguelette ne se brisait sur le rivage ; on eût pu entendre une épingle tomber dans le comté.

J’éteignis la bougie, et les ténèbres se refermèrent sur moi, absolues. Elles m’environnaient comme une foule dense ; et je retournai au château de Durrisdeer, la tête sans cesse tournée par-dessus l’épaule, en proie aux plus folles imaginations. Sur le seuil, une forme s’avança à ma rencontre ; et je faillis pousser un cri de terreur, lorsque je reconnus Mme Henry.

– Lui avez-vous parlé ? dit-elle.

– C’est lui qui m’a envoyé, dis-je. Il a disparu. Mais pourquoi êtes-vous ici ?

– Il a disparu ! répéta-t-elle. Qui a disparu ?

– Le cadavre, dis-je. Pourquoi n’êtes-vous pas auprès de votre mari ?

– Disparu ? dit-elle. Vous n’avez pas bien regardé. Retournez.

– Il n’y a plus de lumière, dis-je. Je n’ose pas.

– J’y verrai dans l’obscurité. Je suis restée ici longtemps, si longtemps, dit-elle. Allons, donnez-moi la main.

Nous retournâmes la main dans la main jusque sous la charmille, à l’endroit fatal.

– Prenez garde au sang ! dis-je.