Page:Stevenson - Saint-Yves.djvu/179

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monsieur le comte Anne ! dit le notaire. À votre place, voyez-vous, je ne ferais point cela ! J’ai peur, j’ai très peur que, à votre première démarche contre monsieur Anne, vous ne me forciez à prendre un parti extrême !

— Vous avez déjà fait de moi un mendiant et un banqueroutier, dit Alain : quel autre parti extrême vous resterait-il à prendre ?

— Je suis assez gêné pour le définir ici, devant les témoins qui m’entendent, répondit Romaine. Mais il y a des choses pires encore qu’une banqueroute, et des lieux encore pires qu’une prison pour dettes ! »

Ces mots furent dits d’un accent si expressif qu’Alain eut un frémissement par tout le corps ; et soudain, comme s’il avait reçu un coup d’épée, je le vis devenir d’une pâleur blafarde.

« Je ne vous comprends pas, murmura-t-il.

— Oh ! si fait, vous me comprenez parfaitement ! répliqua Romaine. Vous ne pouvez pas supposer que, tous ces temps derniers, pendant que vous étiez si occupé, les autres soient restés entièrement inactifs. Vous ne devez pas imaginer que, parce que je suis un Anglais, je ne m’entends pas un peu, moi aussi, à mener une enquête. Quels que soient mes égards pour l’honneur de votre maison, monsieur Alain de Saint-Yves, si j’apprends que vous tentez la moindre démarche, directement ou indirectement, pour nuire à votre cousin, je ferai mon devoir, quelque prix que cela doive me coûter ; en d’autres termes, monsieur, je communiquerai à qui de droit le vrai nom de l’agent bonapartiste qui signe ses lettres « Grégoire de Tours » ! »

Je confesse que, même avant ce dernier coup, mon cœur était tout entier du côté de mon malheureux cousin. Je tremblais moi-même de pitié, en assistant au choc qu’était pour lui cette proclamation publique de son infamie. La parole lui manquait, il portait la main à sa cravate, il chancelait : je crus qu’il allait tomber. Je m’élançai à son aide ; et, aussitôt, il se ressaisit, recula devant moi, comme pour se préserver de l’outrage de mon contact.