Page:Stevenson - Saint-Yves.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bourg, il n’y a pas un endroit au monde d’où je serais aussi volontiers absent, à cette minute, que de votre salle à manger ! »

À mon grand soulagement, je crus apercevoir l’ébauche d’un sourire se dessiner sur le visage de fer de la dame. L’ébauche n’y apparut d’ailleurs qu’une seconde.

« Et, sans indiscrétion, comment vous appelle-t-on ? demanda-t-elle.

— Le comte Anne de Saint-Yves, pour vous servir ! répondis-je.

— Monsieur le comte, dit-elle, je crains que vous ne fassiez beaucoup trop d’honneur aux modestes bourgeois que nous sommes !

— Chère madame, repris-je, parlons sérieusement ! Que pouvais-je faire ? Où pouvais-je aller ? Et comment pouvez-vous vous fâcher contre ces charitables enfants qui ont eu pitié d’un homme aussi malheureux ? Votre humble serviteur n’est pas un aventurier si terrible que vous ayez à l’accueillir avec un pistolet d’arçon. Il n’est rien qu’un jeune gentilhomme dans une détresse extrême, poursuivi de toutes parts et ne demandant que d’échapper à ceux qui le poursuivent. Je connais votre caractère, je le lis sur votre visage. (Mon cœur me tremblait dans le corps pendant que je disais ces audacieuses paroles.) Il y a en France, à cette même heure, des prisonniers anglais. Peut-être à cette même heure s’agenouillent-ils comme je le fais ? Peut-être prennent-ils la main de celle qui peut les cacher et leur venir en aide ? Peut-être la pressent-ils sur leurs lèvres…

— Allons ! allons ! s’écria la vieille dame, se dérobant à mes sollicitations. Ayez au moins un peu de tenue ! A-t-on jamais vu quelqu’un comme ça ? Et maintenant, mes enfants, qu’est-ce que nous allons bien pouvoir faire de lui ?

— Le congédier, ma chère dame ! répondis-je. Renvoyer au plus vite cet importun compagnon ! Et, si c’est possible, si votre bon cœur vous le permet, l’aider un peu dans le voyage qui lui reste à faire !