Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/179

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bien ainsi que nous l’entendons aussi, nous autres prolétaires !

La Bourgeoisie s’est affranchie du despotisme et de l’arbitraire individuels, mais elle a laissé subsister l’arbitraire qui résulte du concours des circonstances et qu’on peut appeler la fatalité des événements ; il y a toujours une chance qui favorise et « des gens qui ont de la chance ».

Lorsque, par exemple, une branche de l’industrie vient à s’arrêter et que des milliers d’ouvriers sont sur le pavé, on pense assez juste pour reconnaître que l’individu n’est pas responsable, mais que « c’est la faute des circonstances » ; changeons donc ces circonstances, et changeons-les assez radicalement pour qu’elles ne soient plus à la merci de pareilles éventualités ; qu’elles obéissent désormais à une loi ! Ne soyons pas plus longtemps les esclaves du hasard. Créons un nouvel ordre de choses qui mette fin à toutes les fluctuations, et que cet ordre soit sacré !

Jadis, pour obtenir quelque chose, il fallait « complaire à son maître ; depuis la Révolution, il faut « avoir de la chance ». Une poursuite de la chance, un jeu de hasard, telle est la vie bourgeoise ; de là le précepte qu’il ne faut pas risquer de nouveau au jeu ce qu’on est parvenu y gagner.

Contradiction bizarre, et pourtant toute naturelle : la concurrence, thème unique autour duquel se déroulent toutes les variations de la vie civile et politique, est devenue une pure loterie, depuis la spéculation à la Bourse jusqu’à la chasse aux clients, aux places, au travail, à l’avancement et aux décorations, et jusqu’au misérable petit négoce des usuriers juifs. Si l’on réussit à battre et à évincer ses concurrents, on a fait « un heureux coup ». Ce ne peut être en effet que par une faveur du sort que le vainqueur est doué (quelque application qu’il ait d’ailleurs mise à les acquérir) de facultés contre lesquelles les autres n’ont