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Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/303

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que moins sacrée, de la famille ; mais dans le cas contraire, il va jusqu’à ordonner le crime envers la famille : il fait un devoir au fils, par exemple, de refuser d’obéir à ses parents si ceux-ci veulent l’entraîner à pécher contre l’État.

Supposons que l’égoïste ait rompu les liens familiaux et trouve dans l’État un protecteur contre l’esprit de famille gravement offensé. À quoi en arrive-t-il ? À faire partie d’une nouvelle société, dans laquelle son égoïsme va rencontrer les mêmes pièges, les mêmes filets que ceux auxquels il vient d’échapper. L’État aussi est une société et n’est pas une association : il est l’extension de la famille (« père du peuple — mère du peuple — enfants du peuple »).



Ce qu’on nomme État est un tissu, un entrelacement de dépendances et d’attachements ; c’est une solidarité, une réciprocité ayant pour effet que tous ceux entre lesquels s’établit cette coordination s’accordent entre eux et dépendent les uns des autres : l’État est l’ordre, le régime de cette dépendance mutuelle. Que le roi, dont l’autorité se répercute sur tous ceux qui détiennent le moindre emploi public, jusque sur le valet du bourreau, vienne à disparaître, l’ordre n’en sera pas moins maintenu en face du désordre de la bestialité par tous ceux chez qui veille le sens de l’ordre. Si le désordre l’emportait, l’État aurait vécu.

Mais cette bonne entente, cet attachement réciproque, cette dépendance mutuelle, cette pensée d’amour est-elle réellement capable de nous gouverner ? À ce compte, l’État serait l’amour réalisé, vivre dans l’État serait être pour autrui et vivre pour autrui. Mais que devient l’individualité quand règne l’esprit d’ordre ? Ne trouvera-t-on pas que tout est pour le mieux pourvu que l’on parvienne par la force à faire régner l’ordre, c’est-à-dire à disloquer et à parquer judicieusement le troupeau de façon que nul ne « marche sur les pieds du