Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/360

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fait son métier prétendument par amour du métier, mais en réalité pour l’amour du bénéfice qu’il procure. Si l’on devient censeur, ce n’est pas que le métier soit attrayant, mais la position n’est pas déplaisante ; et puis on veut — monter en grade. On voudrait bien administrer, rendre la justice, etc., en toute conscience, mais on craint d’être déplacé ou révoqué : avant tout, il faut bien qu’on — vive.

Toute cette pratique est en somme une lutte pour cette chère vie, une suite d’efforts ininterrompus pour s’élever de degré en degré jusqu’à plus ou moins de « bien-être ». Et toutes leurs peines et tous leurs soucis ne rapportent à la plupart des hommes qu’une « vie amère », une « amère indigence ». Tant d’ardeur pour si peu de chose !

Une infatigable âpreté à la curée ne nous laisse pas le temps de respirer et de nous arrêter à une jouissance paisible. Nous ne connaissons pas la joie de posséder.

Lorsqu’on parle d’organiser le travail, on ne peut avoir en vue que celui dont d’autres peuvent s’acquitter à notre place, par exemple, celui du boucher, du laboureur, etc. ; mais il est des travaux qui restent du ressort de l’égoïsme, attendu que personne ne peut exécuter pour vous le tableau que vous peignez, produire vos compositions musicales, etc. ; personne ne peut faire l’œuvre de Raphaël. Ces derniers travaux sont ceux d’un Unique, ce sont les œuvres que cet Unique seul est à même d’exécuter, tandis que les premiers sont des travaux banaux que l’on pourrait appeler « humains », attendu que l’individualité de l’ouvrier y est sans importance et qu’on peut y dresser à peu près « tous les hommes ».

Comme la Société ne peut prendre en considération que les travaux qui présentent une utilité générale, les travaux humains, sa sollicitude ne peut pas s’étendre à celui qui fait œuvre d’Unique ; son intervention dans ce cas pourrait même être nuisible.