Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/387

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dans le monde entier. Sa providence paternelle ne nous laisse plus la moindre initiative ; nous ne pouvons rien faire de sensé sans que l’on dise : c’est Dieu qui l’a fait, ni nous attirer une disgrâce sans entendre dire : Dieu l’a voulu ainsi. Nous n’avons rien qui ne nous vienne de lui, tout nous est « donné » par lui. Mais ce que fait Dieu, l’homme le fait aussi. Dieu veut donner au monde la béatitude, l’homme veut lui donner le bonheur et rendre tous les hommes heureux. C’est pourquoi tout homme voudrait éveiller chez les autres la raison qu’il croit avoir lui-même en partage : tout doit être totalement raisonnable. Dieu combat le Diable, le philosophe combat la déraison et l’irrationnel. Dieu ne laisse aucun être suivre la voie qui lui est propre, et l’Homme ne veut nous permettre qu’une conduite humaine.

Mais celui qui est pénétré de l’amour sacré (religieux, moral, humain) n’a d’amour que pour le fantôme, pour le « véritable Homme », et il persécute l’individu, l’homme réel, aussi impitoyablement et avec la même froideur que s’il procédait juridiquement contre un monstre. Il trouve louable et nécessaire de se montrer inexorable, car l’amour du fantôme ou de la généralité abstraite lui ordonne de haïr tout ce qui n’est pas fantôme, c’est-à-dire l’égoïste ou l’individuel. Tel est le sens de cette fameuse manifestation de l’Amour qu’on nomme « Justice ».

L’accusé n’a aucun ménagement à espérer, pas une âme compatissante ne jettera un voile sur sa triste nudité. Sans émotion, le juge austère arrache au pauvre condamné ses derniers lambeaux d’excuse ; sans pitié, le geôlier le traîne à sa sombre prison ; et à l’expiration de sa peine, il n’a pas à espérer de réconciliation ; quand on le rejettera, flétri, parmi les hommes, ses bons, ses loyaux frères en Christianisme lui cracheront au visage avec mépris. Pas de grâce non plus pour le criminel « qui a mérité la mort ». On le conduit à l’échafaud, et la loi morale assouvit,