Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/70

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Ce n’est que par le fait que tu crées ta première pensée que tu crées en toi le penseur, car tu ne penses point tant que tu n’as point eu une pensée. N’est-ce pas ton premier chant qui fait de toi un chanteur, ta première parole qui te fait homme parlant ? De même, c’est ta première production spirituelle qui fait de toi un Esprit. Si tu te distingues du penseur et du chanteur que tu es, tu devrais te distinguer également de l’Esprit et sentir clairement que tu es encore autre chose qu’Esprit. Mais de même que le Moi pensant perd aisément la vue et l’ouïe dans son enthousiasme de penser, de même l’enthousiasme de l’Esprit t’a saisi, et tu aspires maintenant de toutes tes forces à devenir tout Esprit et te fondre dans l’Esprit. L’Esprit est ton Idéal, l’inaccessible, l’au-delà ; tu appelles l’Esprit — Dieu : « Dieu, c’est l’Esprit ! »

Ton zèle t’excite contre tout ce qui n’est pas Esprit, aussi t’insurges-tu contre toi-même, qui n’es pas exempt d’un reste de non-spiritualité. Au lieu de dire : « Je suis plus qu’Esprit », tu dis avec contrition : « Je suis moins qu’Esprit, L’Esprit, le pur Esprit, je ne puis que le concevoir, mais je ne le suis point ; et puisque je ne le suis pas, c’est qu’un autre l’est, et cet autre je l’appelle — Dieu. »

L’Esprit, pour exister comme pur Esprit, doit nécessairement être un au-delà, car, puisque je ne le suis pas, il ne peut être qu’en dehors de moi, et puisque nul homme ne réalise intégralement la notion d’ « Esprit », l’Esprit pur, l’Esprit en soi ne peut être dehors des hommes, au-delà du monde humain, non terrestre, mais céleste.

Cette discordance entre moi et l’Esprit, qui éclate en ce fait que « Moi » et « Esprit » ne sont pas deux noms applicables à une seule et même chose, mais deux noms différents pour deux choses différentes, que je ne suis pas Esprit et que l’Esprit n’est pas moi, cela seul suffit pour nous à montrer sur quelle tautologie repose l’apparente nécessité pour l’Esprit