Page:Stirner - L’Unique et sa propriété.djvu/400

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propre, mon être particulier. Lorsque ce cas fâcheux se présente, l’amour n’apparaît pas autrement que comme une passion quelconque à laquelle j’obéis aveuglément. L’avare, qu’entraîne son amour de l’or et qui reste sourd aux avertissements qu’il entend au fond de lui-même aux instants où son vice sommeille, a laissé cette passion croître et devenir une puissance despotique sur laquelle tous les dissolvants sont sans action ; il s’est abandonné parce qu’il ne peut se résoudre et par conséquent parce qu’il ne peut se délivrer : il est possédé.

Moi aussi, j’aime les hommes, non seulement les individus mais quiconque. Mais je les aime avec la conscience de l’égoïsme. Je les aime parce que l’amour me fait heureux, j’aime parce qu’aimer m’est naturel, me plaît. Je ne connais pas de « commandement de l’amour ». J’ai de la sympathie pour tous les êtres sentants, leur tourment me tourmente, leur soulagement me soulage ; je peux les tuer, non les martyriser. Au contraire, le Rodolphe des Mystères de Paris, le prince philistin, magnanime et vertueux, rêve le supplice des méchants, parce que les méchants « le révoltent ». Ma sympathie prouve seulement que le sentiment des êtres sensibles est aussi le mien, ma propriété, tandis que le procédé impitoyable du « juste » (par exemple contre le notaire Ferrand) rappelle la barbarie de ce brigand qui, prenant pour mesure la longueur de son lit, coupait ou allongeait les jambes de ses prisonniers : le lit où Rodolphe étend ses victimes est « l’idée du bien » ; le sentiment du droit, de la vertu, le rend dur et intolérant, il sent que « la justice arrive pour le scélérat », ce n’est pas là de la pitié.

Vous aimez l’Homme, c’est pourquoi vous faites souf-