Page:Strauss David - Vie de Jésus, tome 1, Ladrange 1856.djvu/12

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la Turquie, où cette idée a pleine possession des esprits ; et, parmi nous, les classes peu éclairées, quoique mises elles-mêmes en défiance par les lumières qui leur viennent des classes éclairées, l’acceptent par mille côtés, prêtes encore à y retomber pleinement, si l’effort incessant du progrès humain n’y donnait un démenti de plus en plus confirmé. Il suffit de lire les historiens de Rome ou de la Grèce, ainsi que les biographies de leurs hommes considérables, militaires, politiques ou philosophes ; le miracle était toujours à côté de la vie la plus réelle ; les sceptiques mêmes et les incrédules n’en étaient pas affranchis ; et César, qui, dans le sénat, déclarait ne pas croire à une autre vie et aux peines des enfers, avait ses crédulités superstitieuses. Le judaïsme n’était pas dans une autre condition : Philon, leur philosophe, Josèphe leur historien, et les rabbins en font foi continuellement. Parmi les exemples qui caractérisent le mieux cette manière d’être de l’opinion, il n’en est guère, ce me semble, de plus significatif que celui de Socrate. Cet homme si justement célèbre racontait à ses concitoyens qu’il entendait une voix, laquelle lui donnait des directions pour la conduite de la vie. Suivant lui c’était un démon, un bon génie, qui, lui parlant, l’avertissait dans les circonstances importantes. Une telle croyance, qui le fortifiait en lui inspirant la conviction d’avoir des communications avec les êtres supérieurs, passait à ceux qui l’écoutaient ; et, bien loin de lui nuire dans leur esprit, elle augmentait leur confiance, imprimant un caractère surnaturel à ses paroles. Mais aujourd’hui il en serait tout autrement. Évidemment Socrate était halluciné, au sens technique et médical ; s’il faisait présentement la dangereuse confidence des voix qui lui parlaient, il appellerait sur lui l’attention