Page:Strauss David - Vie de Jésus, tome 1, Ladrange 1856.djvu/158

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cas mêmes où l’on peut la soulever, sur le fond de la question. Car si l’individu, c’est-à-dire le narrateur ne fait qu’obéir, dans l’invention du mythe, aux impulsions qui agissent simultanément sur le moral des autres, c’est-à-dire des auditeurs, il n’est plus que l’organe par lequel tous parlent, l’habile interprète qui sait, le premier, donner la forme et la couleur à ce que tous voudraient exprimer. Il est cependant possible que l’idée simultanée de cette nécessité et de cette ignorance paraisse obscure et même mystique à plusieurs de nos antiquaires (et de nos théologiens), et le paraisse parce qu’une telle faculté de produire des mythes n’a plus d’analogue dans l’intelligence des hommes d’aujourd’hui. Mais l’histoire ne doit-elle pas accepter même ce qui est étrange, quand elle y est conduite par une recherche sans prévention ? »

Aussitôt Müller, prenant pour exemple le mythe grec d’Apollon et de Marsyas, fait voir comment des mythes même compliqués, à la formation desquels plusieurs circonstances, éloignées en apparence, ont dû concourir, peuvent s’être ainsi développés insciemment. « Dans les fêtes d’Apollon, dit-il, on jouait ordinairement de la harpe, et la piété des fidèles voulait voir dans le dieu l’auteur et l’inventeur de cette harmonie. En Phrygie, au contraire, la musique de la flûte était nationale, et attribuée de la même manière à un génie indigène, Marsyas. Les anciens Grecs sentirent que l’une de ces musiques était essentiellement opposée à l’autre ; Apollon devait détester le son amorti ou sifflant de la flûte, et par conséquent haïr Marsyas. Ce n’était pas assez ; il fallait qu’il triomphât de Marsyas, afin que le Grec jouant de la harpe pût regarder l’instrument inventé par le dieu comme l’instrument le meilleur. Mais pourquoi le malheureux Phrygien dut-il être justement écorché ? Voici simplement l’origine du mythe. Auprès du château de Celænæ, en Phrygie, dans une caverne d’où sort un fleuve ou