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Page:Strauss David - Vie de Jésus, tome 1, Ladrange 1856.djvu/160

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pétent de l’ouvrage de Müller « la condition essentielle pour bien comprendre l’ancien mythe ; condition qui, reconnue ou rejetée, divise dès l’abord en deux systèmes absolument contraires toute étude de mythologie[1]. »

Cependant il n’est pas facile de tirer une ligne de démarcation générale entre la fiction volontaire et la fiction involontaire. Quand un fait, devenu dans la bouche du peuple l’objet de longs récits et de louanges croissantes, a pris, dans le cours du temps, la forme d’un mythe, alors on écarte sans peine, dans ces cas du moins, l’idée d’une fiction volontaire ; car un pareil mythe est la production, non d’un individu, mais de sociétés entières et de générations successives, parmi lesquelles la narration, transmise de bouche en bouche, et recevant l’addition involontaire d’embellissements, tantôt d’un narrateur et tantôt d’un autre, s’est grossie comme la boule de neige. Mais avec le temps il se trouve des esprits plus heureusement doués, que ces légendes inspirent, et qui les prennent pour sujet d’un travail poétique ; la plupart des récits poétiques que l’antiquité nous a transmis, tels que le cycle des légendes sur la guerre de Troie et sur Moise, se présentent à nous sous cette forme remaniée et embellie. Ici on croirait que la fiction volontaire intervient nécessairement ; mais on ne le croirait que d’après des suppositions erronées. Dans notre temps et avec notre culture intellectuelle, où le jugement et la critique dominent, il est difficile de se représenter un temps et une culture où l’imagination agissait assez puissamment pour transformer ses compositions en réalités dans l’esprit même de celui qui les créait. Mais l’intelligence produit, dans des sociétés éclairées, les mêmes miracles que l’imagination dans des sociétés moins éclairées. Prenons le premier historien ancien ou moderne qui s’est appliqué à relater

  1. Ce sont les paroles de Baur, dans son examen des Prolégomènes de Müller ; dans Jahn’s Jahrbücher f. Philol. u. Pædag., 1828, 1. Heft, S. 7.