Page:Strauss David - Vie de Jésus, tome 1, Ladrange 1856.djvu/423

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mots, et moi je ne le connaissais pas, κἀγὼ οὐκ ᾔδειν αὐτόν, doivent signifier : ce n’est pas la personne, c’est la messianité de Jésus qui m’était inconnue[1]. Accordons la possibilité de cette interprétation, quoique ni les mots en eux-mêmes ni leur enchaînement dans le quatrième évangile ne dussent nous y amener ; on demandera toujours si Jean, ayant connu Jésus de la façon que suppose le récit de Matthieu et de Luc, a pu connaître sa personne sans connaître sa messianité. Si Jean a connu Jésus et, avec lui, les rapports de famille que Luc nous dit avoir existé entre eux, il est impossible qu’il n’ait pas été informé de bonne heure de l’annonciation solennelle qui avait révélé le caractère messianique de Jésus avant sa naissance et pendant cette naissance même. Il n’aurait donc pas pu dire plus tard qu’il n’en avait rien su jusqu’à l’apparition d’un signe céleste mais il aurait dû déclarer qu’il n’avait pas ajouté foi au récit des signes anciens, dont un avait été opéré sur lui-même[2]. À la vérité on cherche à concilier avec cette ignorance le premier chapitre de Luc, en disant que les deux familles vécurent dans des lieux fort éloignés, éloignement qui les empêcha d’avoir des relations ultérieures[3]. Mais si, pour Marie fiancée, le voyage de Nazareth, dans les montagnes de Judée, ne fut pas trop long, comment l’aurait-il été pour les deux fils quand ils furent devenus jeunes gens ? Quelle indifférence coupable n’est-ce pas supposer dans les deux familles pour les communications supérieures qu’elles

  1. Ainsi pense Semler, dans la Réponse qu’il a faite au Fragment cité ; ainsi s’expriment la plupart des modernes : Plank, Geschichte des Christenthums in der Periode seiner Einführung, 1, K. 7 ; Winer, Bibl. Realwörterbuch, 1, S. 691.
  2. Que le lecteur juge lui-même si l’argumentation de Neander n’est pas forcée : « Si Jean-Baptiste, d’après ce qu’il avait appris des circonstances de la naissance de Jésus, avait pu espérer (dites donc, avait dû nécessairement savoir) qu’il était le Messie, le signe divin qui lui fut accordé à lui-même l’emportait, dans son for intérieur, sur toute autre communication étrangère ; et, à côté de ce qu’il reconnut alors dans la lumière divine, tout ce qui lui avait été certifié jadis lui parut obscurité et ignorance (S. 68). »
  3. Bleek, Remarques sur l’Évangile de Jean, dans Theolog. Studien und Kritiken, 1833, 2, S. 435 ; Lücke, Commentar zum Evangelium Johannis, 1, S. 362.