Page:Strauss David - Vie de Jésus, tome 1, Ladrange 1856.djvu/68

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comme la civilisation est surtout une médiation, les peuples, à mesure qu’ils se développent, acquièrent un sentiment de plus en plus distinct des médiations dont l’idée divine a besoin pour se réaliser : aussi est-ce sur la partie d’apparence historique que se manifeste le désaccord entre la nouvelle culture et les anciens documents religieux, et l’intervention immédiate de la divinité dans l’humanité perd sa vraisemblance. À cela peut se joindre une sorte de répulsion, attendu que la partie humaine de ces documents appartenant à une humanité des premiers âges, est dans une enfance relative, et, en quelques circonstances, porte l’empreinte de la rudesse. Les choses divines (soit à cause de l’intervention immédiate, soit à cause de la rudesse) ne peuvent avoir été ainsi opérées, ou les choses ainsi opérées ne peuvent être divines : ainsi s’exprimera le désaccord ; et, si l’interprétation cherche à en triompher, elle voudra, ou représenter les choses divines comme ne s’étant pas ainsi passées, et alors elle contestera aux anciens documents leur valeur historique ; ou démontrer que ce qui s’est passé n’est pas divin dans le sens qu’on y attache, et alors l’explication enlèvera à ces livres leur signification intrinsèque et leur valeur absolue. Dans les deux cas, l’interprétation peut se mettre à l’œuvre avec ou sans préjugés : avec préjugés, quand elle s’aveugle malgré la conscience qu’elle a du désaccord survenu entre la nouvelle culture et l’ancienne Écriture, et quand elle s’imagine ne faire que découvrir le sens original des saints livres ; sans préjugés, quand elle reconnaît clairement et avoue sans détour qu’elle considère les récits de ces anciens écrivains autrement qu’ils ne les ont considérés eux-mêmes. Adopter ce dernier point de vue, ce n’est cependant, en aucune façon, rompre avec les vieilles écritures religieuses ; mais ici encore, en conservant ce qui est essentiel, on peut sans crainte faire le sacrifice de ce qui ne l’est pas.