Page:Strauss David - Vie de Jésus, tome 1, Ladrange 1856.djvu/91

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l’interprétation morale à laquelle Kant soumit l’Écriture. Lui, en sa qualité de philosophe, ne tenait pas, comme les théologiens rationalistes, à une histoire ; mais comme les anciens, il tenait à une idée cachée dans l’enveloppe historique. Pour lui, cependant, cette idée n’était pas, comme pour les Pères de l’Église, une idée absolue, aussi bien théorique que pratique ; il n’en saisissait que le côté pratique ; il n’y voyait qu’une détermination morale, et y reconnaissait ainsi un caractère fini et contingent. En même temps, il attribuait l’introduction de ces idées dans le texte biblique, non à l’esprit divin, mais au philosophe interprète de l’Écriture, et, dans une signification plus profonde, à la disposition morale existant chez les auteurs de ces livres. Voici sur quoi Kant s’appuie[1] : De toutes les religions anciennes et modernes, déposées en partie dans des livres sacrés, sont sortis les mêmes résultats, c’est-à-dire que des instructeurs du peuple, judicieux et animés de bonnes intentions, ne cessant de les expliquer, les ont amenées, quant à leur fond essentiel, en concordance avec les principes généraux de la croyance morale : c’est ainsi que les moralistes, parmi les Grecs et les Romains, ont traité leur fabuleuse théologie, et ils ont su finalement expliquer le plus grossier polythéisme comme la représentation symbolique des qualités d’un seul être divin, et développer un sens mystique dans les actions souvent vicieuses de leurs divinités et dans les rêveries les plus extravagantes de leurs poètes, afin que la croyance populaire, qu’il n’était pas salutaire d’anéantir, se rapprochât d’une doctrine morale. Il remarque aussi que le judaïsme postérieur, et même le christianisme, sont constitués par de pareilles interprétations, qui sont quelquefois très forcées, mais qui, dans tous les cas, ont des fins incontestablement bonnes et nécessaires à tous les hommes.

  1. La religion dans les limites de la simple raison, troisième partie, n. VI : La foi de l’Église a pour interprète suprême la pure foi religieuse.