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Page:Stuart Merrill - Prose et vers (1925).pdf/169

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pince sans rire, Gauguin, qui arrivait des Antilles et s’apprêtait à partir pour Tahiti ; Charles Morice, dont la littérature de Tout à l’heure venait de faire grand bruit, Édouard Dubus, délicieux esprit qui devait s’abîmer dans tous les paradis artificiels, Adolphe Retté, qui ne songeait guère alors à la religion, Louis Le Cardonnel, qui ne cessait d’y penser, et combien d’autres, dont quelques-uns se sont suicidés, dont certains ont eu des morts affreuses. Néanmoins les plus à plaindre parmi nous, sont ceux qui renoncèrent avant l’heure à l’Art et à la Poésie.

Le Pèlerin passionné parut, et il fut décidé que Moréas irait en grande pompe et cérémonie, en offrir un exemplaire de luxe à Stéphane Mallarmé. Nous frêtâmes donc plusieurs fiacres et nous nous en fûmes, un beau mardi, chez Mallarmé, rue de Rome. Verlaine, vieux faune malin, s’y trouvait déjà embusqué. Il disputait alors à Moréas le sceptre du Quartier-Latin. Pour tout dire, il était puérilement jaloux de ce klephte à l’œil noir qui ne disait rien qui vaille à son cœur de vieux bougre de patriote. Mallarmé reçut Moréas et sa bande avec son habituelle courtoisie. Quant à Verlaine, hérissant le poil, il ne cessa de cribler Moréas de traits empoisonnés. Celui-ci qui manquait totalement d’esprit mais avait beaucoup de finesse, subit l’assaut sans riposte. Il mérita