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Page:Stuart Merrill - Prose et vers (1925).pdf/170

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ce soir-là, toutes nos sympathies, car Verlaine abusa réellement de son bagout de vieux gamin de Paris. Lorsqu’il consentait à lâcher Moréas, comme un chat lâche une souris pour y mieux revenir des crocs et des griffes, il savait se hausser à l’éloquence. On parla de Shakespeare. Je me rappelle cette phrase : « Shakespeare, hein ! ne dirait-on pas un géant aveugle qui abat des arbres dans une forêt… très sombre… la forêt d’Ardenne ? »

Quand l’heure vint de prendre congé de Mallarmé, je précédais immédiatement Verlaine, et j’entendis l’adorable vieux gosse demander : « Hein ! Stéphane, ai-je assez bien parlé, ce soir ? Les ai-je assez épatés, les petits ? »

On allait le plus souvent voir Verlaine au Café François Ier boulevard Saint Michel[1], où il tenait ses assises à l’heure de l’absinthe. J’avoue que je n’y allais guère, ne me sentant pas une excessive tendresse pour les jeunes gens qui s’abreuvaient aux frais du maître les jours où celui-ci avait « récupéré des ors » comme il disait d’un air fier. Autour de la bande papillonnait Bibi-la-Purée, cet incroyable voyou qui promenait sa silhouette louis onzième de Montmartre au Quartier-Latin.

  1. Ce café a disparu pour faire place à la gare de Sceaux. Note de l’Auteur.