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Page:Stuart Merrill - Prose et vers (1925).pdf/235

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Walt Whitman ! Le voici, à moitié paralysé, pouvant à peine marcher, s’appuyant de sa main droite sur une canne et pesant du coude gauche sur le bras du poète Stedman. Avec l’aide de son ami, il s’installa dans un grand fauteuil, devant des papiers dont il se servait à peine, se laissant aller au cours d’une lente improvisation. Et combien ce fut émouvant ! Il raconta la mort de Lincoln tout naïvement, tout simplement, comme si l’évènement avait eu lieu la veille. Pas un mouvement oratoire, pas un haussement de voix. J’y fus, telle chose m’advint. Et ce récit fut aussi empoignant que les rapports des messagers dans les tragédies d’Eschyle. Rien ne m’a mieux prouvé que l’éloquence ne consiste que dans l’émotion et la sincérité de l’orateur.

À la fin de la conférence, quelqu’un demanda que Walt récitât Captain, my Captain, l’ode dédiée par lui à la mémoire de Lincoln. La pauvre voix du vieillard s’éleva de nouveau, un peu avant le crépuscule, sanglotant plutôt qu’il ne psalmodiait les vers célèbres. J’étais en présence du sublime et je ne pus que pleurer en écoutant ce thrène que Francis Viélé-Griffin a si admirablement traduit en français.

Lorsque la voix mourut dans un bruit d’applaudissements, qui me parut attentatoire au deuil du poète, Stedman s’avança sur la scène et nous