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Page:Stuart Merrill - Prose et vers (1925).pdf/237

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comme ceux d’un petit enfant, pétillaient de malice et de bonté ; les lèvres, pleines, rouges et charnues, dessinaient un arc d’une charmante finesse. Ce visage dont la douceur tempérait la majesté s’encadrait d’une chevelure et d’une barbe encore abondantes malgré l’extrême vieillesse du poète. Le teint rappelait exactement celui d’un jeune garçon blond un peu animé par la course. Les épaules étaient robustes, le cou rond et bien dégagé, les attaches fines. Jamais je n’ai vu un homme aussi frais, aussi net, aussi immaculé. Une jeune femme l’eut aimé d’amour, tant ce vieillard, aurait-elle dit, était appétissant. Il semblait nourri des sucs les plus purs de la Terre, et je me plais à imaginer que sa chair devait fleurer le soleil et l’écume marine. Il portait, ce jour là, un veston de velours noir, un grand col rabattu de toile non empesée et de belles manchettes de dentelles. Car il était fort coquet à sa façon.

Lorsque mon tour vint de lui être présenté, je lui tendis, en bredouillant, mon numéro de la Vogue. Je ne sais comment je parvins à lui faire comprendre qu’il s’agissait de la traduction d’un de ses poèmes par un jeune poète français, Jules Laforgue. Un soudain éclair dans son regard, un sourire lui détendant le visage, un joli sursaut de son attention lassée me prouvèrent que mon offrande lui faisait plaisir.